Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/286

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Lui, le pauvre amoureux, ne cherchait pas à analyser ces refus : il connaissait sa mère et savait qu’elle ne reviendrait pas sur ce qu’elle avait dit. Il avait été froissé aussi par les termes dans lesquels elle formulait invariablement ses réponses : « cette fille », et ils étaient un peu en froid. Mais, d’autre part, lui faire notifier les « sommations légales », comme elle disait, il ne pouvait s’y résoudre, et il restait perplexe, anxieux.

« Ah ! si mon père vivait encore ! » se disait-il.

Un gémissement le ramena vers le lit.

Le malade s’agitait faiblement, et sur sa figure figée tout à l’heure dans une immobilité quasi cadavérique, transparaissait une souffrance intérieure. Il semblait revenir de la fosse ; ses yeux regardaient vaguement, sans voir, de ce regard atone et voilé des nouveau-nés et des mourants. Penchée sur lui, Michelette murmurait à son oreille de douces paroles, des plaintes affectueuses, et essuyait délicatement ce grand front de rêveur, moite des sueurs froides de l’agonie. Ces soins pieux, ces effusions de tendresse, semblèrent ranimer le moribond et lui rendirent un instant la conscience de ce qui l’entourait. Il tourna vers sa fille un regard angoissé, désespéré, plein de regrets, comme pour implorer son pardon ; puis il le reporta sur M. Lefrancq avec une supplication muette, prolongée, et le tourna de nouveau vers sa fille : ne pouvant parler, il montrait Michelette au jeune homme.