Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vide, souillé de boue sanglante… ou affreusement mutilé, gisant couvert de neige sur la terre gelée, et appelant dans la nuit un secours qui ne venait pas… Mais elle portait vaillamment sa peine, et ne regrettait pas d’avoir approuvé ce départ ; elle aussi avait fait le sacrifice ultime :

« Ma vie est liée à la vôtre, mon tendre ami ! Un même sort nous réunira… Votre Michelette vous suivra jusque dans la mort… »

Lorsque après la guerre M. Lefrancq revint un soir, par la diligence qui l’avait amené la première fois à Auberoque, il vit debout, en ouvrant la porte, Michelette pâle d’émotion. Pour échapper aux poignées de main banales, aux compliments des badauds qui tous les soirs attendaient la voiture, il était descendu au bas de la côte, et avait pris une « écoursière », comme on dit à Auberoque. La petite se jeta dans ses bras, la poitrine soulevée, avec des larmes de joie qui coulaient de ses yeux, pareilles à de grosses perles. Puis, comme il faisait froid, après les premières étreintes, elle l’attira vers le foyer, près duquel une petite table était servie.

À ce moment, entra M. Farguette.

— Je me doutais bien que vous étiez là ! s’écria-t-il.

Et les deux hommes s’embrassèrent chaleureusement.

— Monsieur Farguette, vous allez souper avec monsieur Lefrancq ?