Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/66

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était, il y a vingt ans, l’associée d’un « marchand d’hommes » de Bordeaux. C’était une maîtresse femme qui maquignonnait elle-même les remplaçants, froidement, comme un bétail : « Marchez ! Toussez ! » En un clin d’œil, elle avait toisé un homme qui venait vendre « le cochon de son père », comme disaient les troupiers d’alors, et vu son point faible : « Inutile de te déshabiller, mon garçon, tu n’as pas de coffre !… » Intelligente et très ambitieuse, elle abandonna un commerce nécessairement limité, et, venue à Paris, rencontra Chaboin, alors courtier marron au service d’une agence louche. Douée d’une aptitude merveilleuse pour les « affaires », qui, selon un mot connu, sont « l’argent des autres », elle dirigeait son mari et parvint, à force d’intrigues, à en faire l’homme de paille d’un haut personnage ; cela non sans soupçon d’une réminiscence de son ancien métier à propos d’une jeune sœur de Chaboin, très belle fille, devenue subitement la maîtresse en titre dudit personnage. Ce fut le commencement de la fortune de ce couple. Plus tard, avec la puissante protection du patron, Chaboin fonda la « Compagnie de la grande mer nouvelle de Tombouctou », dont sa femme avait conçu l’idée et dont elle fut l’âme et la directrice occulte. Dans cette affaire, les deux époux ont « gagné » un nombre, je ne dis pas respectable, mais très rond de millions.