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Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/66

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quides. Les jours de foire et de marché, M. Branchu déjeunait chez son patron, qui aimait la bonne chère et avait toujours une table plantureusement servie. Après le déjeuner, le clerc avait d’ingénieux artifices pour satisfaire, le café pris, sa passion immodérée pour la vieille eau-de-vie du notaire. Après avoir avalé la dernière rincette offerte, tandis que M. Boyssier s’absorbait dans la lecture de l’Écho de Vésone, il entamait une histoire invraisemblable, dont la conclusion fantastique amenait toujours sur les lèvres de Mme Boyssier une exclamation d’incrédulité :

— Mais ce n’est pas possible, Monsieur Branchu !

— Madame, disait-il alors gravement en se versant une large rasade de l’excellente eau-de-vie, que ceci me serve de poison, si ce n’est pas vrai !

Et il avalait imperturbablement.

Quelquefois, lorsque le patron s’absentait, il réussissait, avec Mme Boyssier, à renouveler cette sorte d’exécration dans la même séance.

Les habitudes d’intempérance de M. Branchu ne troublaient pas plus sa raison qu’elles ne faisaient vaciller ses jambes. Il était de cette ancienne race disparue, d’hommes solides qui marchaient droit et raisonnaient bien en pleine ivresse : race dont Bassompierre et Villars furent d’illustres représentants. Lui, en état d’ébriété, restait très capable d’affaires et avait donné de nombreuses preuves de sa lucidité dans cet état. Malheureusement, il n’en allait pas de même de sa santé en général. Son tempérament apoplectique s’accommodait assez mal des excès et le docteur Bernadet, son voisin, lui avait fait, à ce sujet, de sinistres et inutiles prédictions.

Un jour, le notaire étant absent, M. Branchu déjeunait seul avec Mme Boyssier. En homme qui sait