Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/72

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lement il avait dévoré tous les livres d’histoire, de littérature, de philosophie de l’étude, mais encore le vieux Latheulade, un jacobin attardé dans ce siècle-là, lui prêtait des livres de toutes sortes, depuis le Compère Mathieu, jusqu’aux Vies des hommes illustres, en passant par Voltaire, Diderot, Condorcet, Rousseau. Damase faisait son profit de tout ; son esprit réfléchi comparait et jugeait ; aussi son horizon intellectuel s’était-il singulièrement étendu. Il y avait, sans doute, beaucoup de lacunes dans ce savoir acquis au hasard et à la hâte, mais Damase travaillait constamment à les combler et suppléait souvent à ce qu’il ignorait avec beaucoup de jugement et de sagacité. Quelquefois, l’entendant parler, M. Boyssier, étonné de cette prompte transformation du petit paysan qu’il avait ramené de Guersac trois ans auparavant, suspendait sa lecture et regardait un instant Damase par-dessus ses lunettes, puis se remettait à son journal en songeant qu’il eût été bien heureux d’avoir un fils pareil.

Mais cette intimité pleine de charme pour la femme du notaire la rendait plus avide et faisait passer dans ses sens ce qui n’avait guère été jusque-là que le rêve de son cœur. L’amour complet, puissant, exclusif, l’envahissait et la faisait soupirer après un autre bonheur. À table, elle s’ingéniait à amener quelque contact avec la main du clerc et recevait comme une commotion électrique, lorsque, par cas fortuit, le bord de sa robe effleurait le pied du jeune homme. La fréquence de ces hasards n’éclairait point Damase, tout neuf en matière d’amour et dont toutes les pensées étaient constamment tournées vers Mlle de La Ralphie. Pourtant, quelquefois, lorsqu’il rencontrait les yeux de sa patronne, il trouvait quelque chose d’étrange et de doux à ce regard alangui qui