Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/76

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jadis. La violence de son désir lui donnait l’illusion d’une vision effective. Elle avait perdu la notion des choses visibles et restait accoudée à la fenêtre, immobile, en adoration, et comme hypnotisée par cette contemplation intérieure de la Beauté. Cela dura un long moment, après quoi Damase, rhabillé, sortit du bois et revint vers Fontagnac, son chapeau à la main, pour laisser sécher ses cheveux humides.

De ce jour, elle ne lutta plus. Ses scrupules religieux s’évanouirent, ses craintes mondaines disparurent, sa conscience d’épouse devint sourde ; elle fut adultère d’intention. À la tendresse de cœur qu’elle ressentait depuis longtemps pour Damase, s’ajoutaient les âpres convoitises de la chair, surexcitées jusqu’à la souffrance. Elle n’eut plus qu’une pensée : étreindre contre sa poitrine, enserrer dans ses bras ce corps qu’elle n’avait pas vu et que, cependant, il lui semblait toujours avoir devant les yeux dans sa troublante beauté. Le jour, elle se jetait sur un canapé, fiévreuse, et rêvait. La nuit, tourmentée par l’insomnie, elle songeait au moyen de réaliser les rêves qui la hantaient. Il n’y avait que l’escalier à monter. Son mari ronflait à l’autre bout du corridor, la vieille Toinon était sourde, le petit domestique dormait dans la mansarde, au-dessus de l’écurie ; que risquait-elle ? Mais, quelquefois, dans une accalmie de la passion, sa vie sans reproche se dressait devant elle et cela l’effrayait. Des remords anticipés venaient l’assaillir et la torturaient cruellement. Quoi ! elle en était venue là, elle si pieuse, si chaste jusqu’à présent ! Et si Damase la repoussait ? Alors, le rouge de la honte au front et comme affolée, la malheureuse femme pleurait, sanglotait sous ses draps et s’endormait au matin, brisée par la fatigue et les émotions. Sa figure portait la trace de son état : ses yeux cer-