Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui venait des idées incohérentes et des pensées perverses qui l’effrayaient. Elle songeait que si son mari mourait, elle pourrait s’enfuir au loin avec Damase, et, alors, de sinistres rêveries la prenaient. Que fallait-il pour cela ? Oh ! peu de chose ! Que la Toinon se trompât seulement, un matin que M. Boyssier déjeunait seul et mit dans l’omelette de la ciguë au lieu de persil…

Puis, Mme  Boyssier tomba dans une tristesse muette et résignée. Elle regrettait, la pauvre honnête femme, de n’être pas une de ces déhontées que rien n’arrête. « Si j’étais comme Mme  Laugerie, pensa-t-elle, je serais heureuse. » À force de rêver à sa situation, elle en vint à se dire que si elle n’avait pas le courage d’aller s’offrir elle-même, en personne, sous le regard de Damase dont elle avait honte par avance, elle pouvait écrire… Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ! Et, dans la journée, elle écrivit sur un papier : « Aime qui t’aime ! »

Son dessein était de mettre ce billet dans la chambre du clerc ; mais, au dernier moment, elle eut honte aussi de cette provocation directe. Ce renversement de rôles, qu’elle avait d’abord accepté en principe, lui répugnait maintenant qu’il s’agissait de passer à l’acte. Et puis, elle espérait toujours que Damase verrait qu’elle l’aimait, et qu’il aurait pitié de son tourment.

Lui, maintenant, connaissait bien la vérité, mais il en était sincèrement peiné. Il avait pour Mme  Boyssier une vive reconnaissance, une affection respectueuse, très éloignée de l’amour, et il déplorait de lui avoir inspiré cette passion. Il avait bien pitié d’elle, mais point comme elle l’eût voulu. Les sentiments que depuis longtemps il avait voués en secret à Mlle  de La Ralphie remplissaient son cœur où il