Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/500

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sommes-nous pas trop ambitieux, quand un Dieu a tant accordé à notre vie, de ne pas en être satisfaits ? Mais notre esprit veut être plus puissant qu’un Dieu, et, dans l’orgueil de nos pensées, il nous semble que nous sommes plus sages que les Daimones. Tu sembles être de ce nombre et manquer de prudence, toi qui, lié par les oracles de Phoibos, as donné tes filles à des étrangers, comme si tu les prenais pour des Dieux, et qui as ainsi souillé ta famille illustre et ta demeure. Il faut que le sage ne mêle pas les coupables aux innocents, mais qu’il acquière pour sa famille des amis florissants de richesses ; car un Dieu confond les fortunes communes et ruine l’innocent qui n’a point failli, en l’accablant des calamités du coupable. Or, quand tu menais tous les Argiens à cette expédition, quand les divinateurs parlaient hautement, les méprisant et agissant malgré les Dieux, tu as perdu ta Ville, séduit par les jeunes hommes qui se réjouissent d’amasser des honneurs et attisent la guerre sans droit, et corrompent les citoyens, l’un pour être stratège, l’autre pour avoir en mains la puissance et gouverner insolemment, et celui-ci, par soif du gain, ne considérant point le peuple et ses souffrances. Il y a en effet trois partis de citoyens : les Riches, inutiles et désirant toujours de plus grands biens ; les Pauvres, qui manquent de nourriture, violents et envieux pour la plupart, qui lancent des injures aux riches, trompés qu’ils sont par la langue des pervers qui les commandent. Le troisième parti, qui tient le milieu, sauve la Cité, conservant l’ordre et ce qui est constitué. Et tu veux que je sois ton allié ? Que dirai-je de persuasif à mes concitoyens ? Va donc ! Si tu as conçu un dessein désastreux, il n’est pas équitable de nous entraîner violemment dans la mauvaise fortune.