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Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/100

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il combattait ; elle qui n’a pas craint de souiller son lit, et qui se sentant coupable, ne s’est point punie elle-même ; mais qui, pour échapper à la juste vengeance de son époux, l’a frappé du coup mortel, et m’a ravi mon père. Au nom des dieux ! (j’invoque mal à propos les dieux dans une cause de meurtre,) si j’eusse approuvé ma mère en silence, qu’avais-je lieu d’attendre des mânes de mon père ? Sa haine n’aurait-elle pas déchaîné contre moi les Furies ? Si les terribles déesses préparent la vengeance de ma mère, ne vengeront-elles pas celui qui fut bien plus cruellement outragé ? [585] C’est toi, vieillard, qui, en donnant le jour à une fille perfide, as causé ma perte : c’est son forfait qui, en me ravissant mon père, m’a rendu meurtrier de ma mère. Vois la femme d’Ulysse ; Télémaque ne l’a point immolée ; mais elle n’a pas volé des bras d’un époux dans ceux d’un autre, et sa couche reste chaste et sans souillure. Vois-tu Apollon, qui, de son temple placé au centre de la terre, rend aux mortels des oracles infaillibles, et à qui nous obéissons, quelque ordre qu’il nous donne ? c’est pour lui obéir que j’ai tué celle qui m’a donné le jour. Dites qu’Apollon est impie, mettez-le à mort ; c’est lui qui a commis le crime, et non pas moi. Que devais-je faire ? Un dieu n’est-il pas une caution suffisante pour m’absoudre d’un crime que je rejette sur lui ? Qui échappera désormais, si le dieu qui a donné l’ordre ne me dérobe pas à la mort ? Ne dis donc pas que cette action est mauvaise, dis plutôt qu’elle est malheureuse. L’hymen, pour les mortels bien assortis, fait le bonheur de la vie ; mais pour ceux qu’enchaîne un indigne lien, soit dans les foyers domestiques, soit au dehors, il n’y a que malheur.

Le Chœur