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Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 1.djvu/290

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beaucoup plus qu’une aspiration idéale de l’âme ; il n’avait pas encore été épuré par l’alliance des sentiments moraux, par cette délicatesse du cœur, qu’a développée chez nous la vie domestique et le commerce des femmes. Aussi le poëte grec décrit-il admirablement la langueur secrète qui la consume, l’abattement du corps, le délire des sens, et le trouble intime qui l’agite à la seule pensée de celui qu’elle aime : et toutefois il n’y en a pas moins une vérité profonde et un vif instinct de la passion, dans l’art merveilleux avec lequel elle laisse échapper un aveu si péniblement arraché. Les beautés que Racine a su tirer de son modèle suffiraient presque à la gloire d’Euripide. Celui-ci néanmoins a laissé Phèdre sur le second plan ; elle a résisté aux coupables conseils de sa nourrice, qui n’en révèle pas moins sa passion à Hippolyte : mais quand elle voit son amour méprisé, elle prend la résolution de se donner la mort, pour sauver son honneur et l’avenir de ses enfants ; et en mourant, elle laisse un écrit où elle accuse Hippolyte d’avoir voulu souiller la couche de son père.

Dans Racine, le sujet a été modifié par les idées du christianisme et par les mœurs de son temps, surtout par le spectacle assez fréquent, à la cour de Versailles, de ces pécheresses repentantes qui, après avoir violé les devoirs les plus saints de la famille, finissaient par obtenir la pitié et l’intérêt du monde, par leur repentir et par une éclatante pénitence. C’est ce combat du devoir et de la passion, c’est cette alliance des remords et d’idées toutes modernes, mêlés aux égarements de l’amour le plus violent, qui font de la Phèdre de Racine une épouse chrétienne, comme l’appelle M. de Chateaubriand.

Enfin, l’intervention de la Divinité est encore un trait qui différencie les deux ouvrages. La pièce d’Euripide commence par un prologue, où Vénus annonce son désir de vengeance contre Hippolyte, qui dédaigne son culte ; vengeance à laquelle elle sacrifiera Phèdre, sans le moindre scrupule. Au dénoûment, Diane vient reprocher à Thésée l’erreur fatale dont Hippolyte a été victime, et elle finit par le réconcilier avec son fils.

La marche de la pièce est simple et rapide, quoiqu’on y trouve (ce qui est rare dans la tragédie grecque) une intrigue assez fortement nouée, et surtout un développement de passion qui est le triomphe d’Euripide.

L’Hippolyte, après avoir été représenté une première fois, fut corrigé par l’auteur : ainsi les anciens en ont connu deux édi-