Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/112

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Mme Plessis demanda à Claude s’il ne s’ennuyait pas trop à Paris :

— C’est assez mortel, répondit-il. Tout le monde est parti et on ne peut même pas jouer au bridge. Il n’y a absolument rien à voir au théâtre. Quand je vous aurai dit que mercredi je suis allé au concert Mayol !

— Vous n’avez pas peur, ma petite Kate, demanda Mme Lyons. Toutes ces femmes nues… Vous savez que les vacances sont la perte des maris…

— Je n’ai pas peur, dit Catherine. Avec Claude…

— Cette vie ne peut pas durer, pensait Bernard. Qu’est-ce que nous faisons, elle et moi, parmi tous ces odieux fantômes ?

Plus tard, après d’autres phrases sous la lampe dans le petit salon, et la chanson de la tsarine sur la terrasse — et comme toujours quelqu’un trouva que Boris Godounov était décidément supérieur au prince Igor — quand Mme Plessis eut déclaré que la femme se porterait potelée l’hiver suivant et qu’on aurait enfin la taille à sa place, quand Mme Rosenthal eut mis de côté dans sa table à ouvrage les vêtements beiges comme tous les vêtements de pauvres qu’elle tricotait pour les pauvres, Bernard entendit soudain son frère dire à Catherine :

— Kate, si vous voulez que nous montions ?

Ce nous parut horrible à Bernard : il accouplait Catherine. Il s’indigna qu’elle fût encore après ces cinq nuits la femme de son frère.

— Je serais un lâche d’endurer plus longtemps ce partage, pensa-t-il. Ce n’est rien d’avoir couché avec Catherine. Lui aussi. C’est moi seul qu’elle doit accepter dans son lit…

Le lendemain matin, Bernard, qui n’avait pas dormi, qui était allé marcher pendant deux heures sur la route jusque dans Grandcourt endormi à travers les aboiements des chiens, épia sur les lèvres et les joues de Catherine il ne savait quels signes de bonheur qu’il tremblait d’y apercevoir. À un moment de la matinée, elle lui sourit, mais il ne vit dans ce sourire que le témoignage d’une odieuse complicité, le signe d’une familiarité de fille. C’était assez pour détruire la plénitude enfantine des premiers moments de l’amour, faire oublier à Bernard les dernières promenades, les dernières nuits. Il