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LA CONSPIRATION[1]

VII

Bernard Rosenthal à Philippe Laforgue
Paris, le 26 mars 1929.
Cher Philippe,


Il est temps que je te mette enfin au courant du projet que vous avez sans doute tous soupçonné que j’avais, j’écris aussi à Bloyé et à Jurien. Ne disons rien pour le moment à Pluvinage.

Nous avons choisi une raison de vivre dans la Révolution. Une raison de vivre n’est pas un élément de confort spirituel qu’on utilise le soir pour s’endormir dans les saloperies de la bonne conscience. Il faut profondément réfléchir sur les suites que comporte cette raison, c’est ainsi qu’on parvient à la totalité de la vie. Nous ne nous tolérerons pas nous-mêmes sans la totalité. Spinoza dit : acquiescentia in se ipso. C’est ce que nous exigerons. L’essentiel consiste à s’accepter.

Rien ne me sollicite davantage que l’idée d’engagement irréversible. Il nous faut inventer les contraintes qui nous interdiront l’inconstance ; l’adhésion à la Révolution ne doit pas être une promesse à temps sur laquelle il soit un jour licite de revenir. Redoutons nos infidélités futures…

Un homme qui croit en Dieu, il est en proie au sentiment le plus sordide du monde, mais toute sa vie est commandée, il est sans fissures, il n’y a pas le morceau de la croyance et les morceaux de la vie ordinaire ; il lui est impossible de

  1. Voir Europe, numéro du 15 septembre 1938.