Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/71

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Il me semble — François Régnier à qui j’ai longuement parlé depuis notre visite ratée à Carrières m’a dit là-dessus des choses réellement importantes — que l’espionnage pourrait constituer en ce moment l’activité à la fois efficace et irrémédiable que j’ai passionnément en vue. La bassesse légendaire de l’espionnage tient tout entière aux intérêts temporels qui conduisent les espions et aux fins ignobles que visent les impérialismes qui les paient. On n’a point encore considéré l’espionnage comme une des formes de l’activité de l’esprit. Un acte d’espionnage parfaitement désintéressé dans ses mobiles ou dans le profond intéressement serait d’ordre concret et métaphysique, et entièrement pur par ses fins, ne me paraît pas indigne de nous : aucun moyen n’est impur.

La Révolution française qui se prépare, malgré toutes les apparences et tous les signes de la stabilité, doit mettre au premier plan de ses soucis les questions de la prise du pouvoir et des résistances qui pourront être opposées dans les premières semaines du conflit armé. Il existe donc une nécessité de travailler politiquement dans l’armée, et une nécessité conspirative de s’emparer avant les journées de décision de divers renseignements militaires : dispositifs de sécurité, plans de protection, emplacements des stocks d’armes des centres mobilisateurs, etc. Si je vois encore mal dans leur détail les conditions réelles du succès de l’espionnage industriel — il faudra évidemment créer un réseau complexe de techniciens absolument sûrs, qui seront peu nombreux dans les milieux de Centrale et de l’X, un peu plus nombreux peut-être du côté des Arts et Métiers, des écoles techniques du pauvre — le succès assez rapide et étendu de l’espionnage militaire me paraît plus facile à imaginer ; nous sommes tous destinés à faire notre service militaire comme officiers d’infanterie ou d’artillerie ou comme soldats occupant par les vertus de la Culture des emplois privilégiés. (Au fond nous avons eu jusqu’ici une politique stupide en nous opposant systématiquement à la Préparation militaire supérieure et en organisant à l’École comme les normaliens de Quimper la lutte contre le bonvoust.) Ce qui définit les secrets militaires, c’est moins la profondeur que la répétition : il n’y a pas plus kierkegaardien qu’un État-major. Il suffirait donc au début