Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/74

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vrer leurs fils, les hauts fonctionnaires du Commissariat de Millerand et d’Alapetite emportaient en France pour leurs maisons de campagne de pleins wagons de mobilier national ; les surréalistes venaient chercher à Strasbourg les inspirations du romantisme allemand. C’est fini, mais on use encore ses loisirs à errer sur des quais bordés de clochers, de carillons, de palais, de jardins à grillages, d’églises et de temples où les touristes vont méditer sur la mort en regardant de près dans les cercueils de verre des fillettes en robes à vertugadin et des généraux du xviiie empaillés et fortement mangés aux vers. Il existe des places au bord des canaux et de l’Ill avec des arbres, de l’herbe, du silence, et des weinstube où des serveuses-maîtresses en robe de soie noire découvrent assez haut leurs cuisses pour qu’on ait envie de les caresser, bien que leur peau ait une blancheur gênante de salade ; lorsqu’on les connaît assez bien, elles vous conduisent à la cuisine pour vous embrasser habilement sur la bouche en vous appelant en allemand ma petite âme. Pâques n’est pas mal en Alsace, mais rien ne vaut dans cette ville la saison des neiges. Tous les bordels ont alors des arbres de Noël autour desquels les jeunes bourgeois de la ville s’attendrissent dans la compagnie des filles pendant que leurs parents vont à la messe de minuit au Munster. Ces jeunes gens ont communément pour maîtresses, comme ils disent, des serveuses de brasserie à tabliers noirs et à gros seins, qui leur donnent quelque argent de poche. Ils vont le dimanche danser avec les amies de leurs sœurs dans les dancings de l’hôtel Hannong et de la Maison Rouge, car il fait encore un peu frais dans les restaurants de la Wanzenau et du Fuchs am Buckel. Dans peu de jours, ces jeunes filles commenceront à jouer au tennis sur les courts de la Robertsau, où il y aura des roses. Toutes les séductions des Familles… À toi.


Bernard Rosenthal à Philippe Laforgue
Paris, le 30 mars 1929.
Cher Philippe,

Je veux passer sur ton mot de romantique : nous en discuterons, parce qu’il me paraît témoigner d’un grave malen-