Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/88

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retrouva seul à Port-Royal entre son lit de fer et l’armoire aux secrets, Simon décida qu’il était temps enfin d’étudier le cadenas : il lui fallut deux minutes pour composer le mot, qui était Siam. Dans ces casernes presque tout est soumis aux mots des expéditions coloniales et des batailles illustres de la guerre, les drapeaux, les réfectoires, les chambrées, les foyers du soldat décorés au pochoir et les secrets d’État, on peut tout découvrir par les mêmes méthodes que les solutions des mots croisés et des rébus.

Le lendemain, le second secrétaire qui avait de la famille dans le Pas-de-Calais partit en permission ; Dietrich éloigné, Simon fut certain de rester seul le soir pendant trois jours. À une de ces heures mortes entre la fin de la soupe et les notes désolées de l’extinction des feux, quand les chambrées sont vides, quand les hommes traînent le long des boulevards, devant les cafés ou dans les halls d’attractions de l’avenue des Gobelins, Simon ouvrit l’armoire. Il n’y avait aucune chance de voir arriver l’adjudant Giudici ou le chef de bataillon Sartre.

L’armoire était à demi pleine de dossiers dont la chemise portait, écrit en ronde, le titre confidentiel ou le titre secret. Simon n’eut aucun mal à découvrir la seule pièce importante qui était le plan de protection de la 2e zone : c’était un cahier qui évoquait avec une grande sécheresse la guerre, la révolution, la guerre civile ; cette anticipation administrative des cataclysmes était suffisamment poétique pour que Simon fût sensible à sa mise en scène calligraphiée de l’avenir : il rêva cinq minutes sur les tableaux enflammés de Paris qui se levaient de toutes les lignes et commença à copier les instructions du cahier. À l’usine des Eaux de Choisy-le-Roi, tant d’hommes, lisait-il. À Villeneuve-Saint-Georges, tant de fusils mitrailleurs. À la gare de Lyon, tant d’effectifs du 21e colonial. Il voyait la troupe descendre sur les points stratégiques de Paris, il entendait des commandements rouler d’écho en écho dans le silence des grands orages historiques, la respiration étouffée des Parisiens épiant à travers les lames de leurs volets les rues menaçantes, sans voitures, sans lumières, la nuit. L’extinction des feux l’arrêta.

Le lendemain, Simon reprit son travail et envoya le troi-