Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/91

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— Mon colonel, dit Simon, j’ai craint de vous paraître ridicule et j’ai pensé que vous ne me croiriez pas. Il me semblait que je ne pouvais me défendre qu’en me taisant.

Cette fable correspondait assez bien à l’idée que ces militaires se faisaient de l’homme : l’invention d’un roman leur parut s’accorder avec les rêveries qu’ils prêtaient à tous les intellectuels, en se persuadant qu’ils étaient eux-mêmes des hommes d’action. Ils respirèrent d’être mis en présence d’une version de l’incident qui ne contredisait aucune de leurs valeurs ; elle les fit sourire, et le colonel dit à Simon qu’il s’était conduit comme un enfant et qu’on ne se cache pas la tête dans le sable. On lui demanda de donner sa parole d’honneur que rien n’était sorti de la caserne : il la donna sur le champ et ajouta qu’il commençait à peine de prendre ses premières notes quand le commandant était entré. Il jugeait que son amitié pour Bernard valait bien tous les mensonges. L’honneur jouait dans les habitudes morales des officiers de Simon un rôle si naturel qu’ils n’imaginaient même pas qu’un adolescent comme lui pût se parjurer. Ils n’auraient peut-être pas cru un fils d’ouvrier sur parole, mais Simon les trompa avec une grande aisance.

Comme il ne se pouvait pas que son indiscrétion demeurât sans sanctions, il fut puni de quinze jours de prison et de huit jours de cellule qui devinrent en s’élevant vers les instances supérieures de la hiérarchie militaire trente jours de prison et quinze jours de cellule. Il conclut qu’il s’en tirait à bon compte et que Gladys n’aurait pas longtemps à le pleurer.

Rosenthal qui n’avait aucune nouvelle de Simon depuis l’envoi des premiers renseignements s’inquiéta rapidement. Il pensa courir à la caserne de Lourcine, mais il songea que si André s’était fait prendre, toutes les visites seraient suspectes. Il alla rôder à la sortie de la caserne, sur le boulevard de Port-Royal, à l’heure où les chômeurs attendent devant le corps de garde que les soldats aient mangé la soupe du soir, mais il ne vit pas sortir Simon. Il fut assuré que tout était perdu : malade, Simon se fût arrangé pour le faire prévenir. Ces inquiétudes lui donnèrent une idée exaltante de la Conspiration : quand il vit Laforgue, il lui expliqua que tout devait être découvert.