Page:Europe, revue mensuelle, No 190, 1938-10-15.djvu/98

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où personne n’imaginait que les jeunes filles eussent d’autre vocation que le mariage. Elles saisissaient presque toujours la première occasion qui s’offrait de devenir des femmes. Cette stupéfiante docilité aux conventions de morale et d’argent causait plus tard beaucoup de drames.

Il venait à peine à l’esprit de Bernard de regarder Catherine comme une femme. Étrangère, il eût peut-être immédiatement désiré cette grande jeune femme blonde un peu ennuyée, assez semblable aux longues filles des Champs-Élysées qui lui faisaient battre le cœur, à quinze ans, quand il les voyait entrer au Fouquet’s ou au Claridge, mais ce charme, cette espèce d’aura qui protège des incestes naturels les femmes de la famille, avait passé sur Catherine. Quand Bernard voyait qu’elle croisait les jambes, il détournait machinalement les yeux : Catherine n’était encore pour lui qu’une femme de cire dont il pouvait distraitement baiser la main ou les joues, dont le corps ne lui inspirait qu’une vague répulsion sacrée.

Il aurait bien dû s’étonner assez vite de se plaire à la compagnie de sa belle-sœur, qu’il consentait à conduire au théâtre, au concert, lorsque Claude se disait accablé de ces besognes imaginaires qui le faisaient paraître important : toute la famille admirait qu’il parût céder à ce qu’on appelait le sourire de Catherine.

— Kate apprivoise notre sauvage, disait Mme Rosenthal. Je n’en ai jamais tant obtenu…

On appelait en effet Catherine Kate ; c’était une coutume des Rosenthal d’angliciser les noms ; les mères, les sœurs aînées de la famille, qui ne savaient pas toutes tellement bien l’anglais, disaient à leurs fils, à leurs jeunes frères, des phrases simples.

— Shut the window. Ring the bell. Go to bed. Eat your eggs…

Le moindre dîner où les enfants étaient admis ressemblait à un cours élémentaire, nourri d’exemples de manuel, de commandements, comme si ces enfants n’avaient encore eu que des intelligences de jeunes chiens.

Enfin, c’était une famille qui se plaisait, comme toutes les autres, à composer des images rassurantes de sa cohésion et de sa permanence : les cours de la Bourse qui montaient,