Page:Europe, revue mensuelle, No 191, 1938-11-15.djvu/74

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— Il faut pourtant savoir ! s’écria Rosenthal.

— Aucune chance, dit Laforgue. Pluvinage a raison. Nous croyons ou ne croyons pas, mais nous n’aurons jamais que des certitudes morales.

Pluvinage partit en claquant la porte, après avoir tâtonné sur le verrou qu’il avait fermé au début de la rencontre.

Rosenthal et Laforgue attendirent plusieurs jours qu’il reparût : il ne revenait pas, ne donnait pas signe de vie. À mesure que le temps passait, ils rassemblaient des souvenirs qui justifiaient tous le soupçon. L’accusation prenait corps, paraissait peu à peu évidente : Serge innocent fût revenu vers eux. Cette absence, ce silence qui duraient les rassuraient lentement. Ils se demandèrent enfin ce qu’ils devaient faire, sans l’ombre d’une preuve réelle, avec de fortes présomptions de sentiment : ils hésitaient à tenter une démarche au parti.

— De quoi aurons-nous l’air ? demandait Laforgue. On ne s’amène pas chez les gens, à moitié étranger à eux, pour leur dire : vous savez, votre fils est probablement un voleur, un escroc…

Ils se décidèrent pourtant à écrire au secrétaire du parti, en rapportant la conversation avec Régnier, leurs soupçons, les dénégations de Pluvinage. Quand ils eurent achevé la lettre, ils la trouvèrent digne et se sentirent soudain la conscience en repos : rien au monde n’est plus lourd que la nécessité de juger, ils étaient allégés enfin de ce fardeau.

— Quand on y pense, dit un jour Rosenthal, cette dénonciation ne nous a paru étrange que parce que nous pensions au caractère phénoménal de Pluvinage, mais il y a sans doute beaucoup à dire sur son caractère intelligible. Oui n’est pas double ?

Laforgue trouva cette parade de foire révoltante et dit à son ami :

— Pas de kantisme, je t’en prie ! Peut-être avons-nous agi comme des salauds…

XVIII

Personne n’osait regarder Bernard en face.

— Le conseil de famille est raté, se dit-il. Ils ont peur