Page:Europe, revue mensuelle, No 192, 1938-12-15.djvu/56

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— Est-ce que vous cherchez toujours Carré ?

— Quel Carré ? demanda Massart.

— Le Carré du comité central du parti communiste.

— Ah ! Carré ! s’écria-t-il. Je crois bien que nous le cherchons, l’animal ! Est-ce que tu saurais où il se planque ?

— Il vit à Mesnil-le-Roi, route de Saint-Germain-en-Laye, chez l’écrivain François Régnier.

Le commissaire nota ces mots, me regarda et dit :

— Sûr ?

— Je l’y ai vu, il y a trois semaines…

— Et tu as attendu tout ce temps pour me le dire !

— On ne se résout pas si vite à ce métier.

— Bien sûr, bien sûr, dit Massart. On embrouille tout avec l’honneur… Cette petite démarche signifîe-t-elle que tu as pensé à notre conversation, ou plutôt à mon monologue de Neuilly ?

— Je ne suis pas des vôtres, dis-je. Aujourd’hui, j’ai des raisons — privées…

Le commissaire sourit et me donna une légère tape sur l’épaule :

— Allons, allons, dit-il. On se cabre toujours, pour commencer…

Je ne sais ce qui se passa ensuite dans le bureau de Massart, je me souviens seulement d’une ignoble photographie au mur, sous les portraits de famille des directeurs des Renseignements généraux, une photo qui représentait la muraille de la Santé, avec un petit homme en pardessus et en haut de forme au pied du rempart de meulière, et qui portait cette dédicace : « À Massart, ce puissant raccourci, Deibler. » Je descendis enfin les escaliers poisseux de la préfecture, c’était fait. Je respirais, comme on dit que respirent les paranoïaques qui rêvèrent longtemps d’un meurtre.

Rien n’était plus reconnaissable dans ce monde qui n’avait point bougé. Une dénonciation, ce n’est rien, c’est une phrase qu’on dit, c’est bien moins théâtral qu’un crime, ce n’est ni un morceau de roman noir, ni une scène de sombre opéra, mais c’est beaucoup plus irréparable que les meurtres, beaucoup plus profond, c’est une métamorphose dans les profon-