Page:Europe, revue mensuelle, No 93, 1930-09-15.djvu/20

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II

FIGUREZ-VOUS : nous voilà lâchés à vingt ans dans un monde inflexible, munis de quelques arts d’agrément : le grec, la logique, un vocabulaire étendu qui ne nous donne même pas l’illusion d’y voir clair. Nous sommes perdus dans leur galerie des machines où tous les coins mal éclairés dissimulent des rencontres sanglantes, guerres aux colonies, terreur blanche aux Balkans, assassinats américains applaudis par toutes les mains françaises : la terrible hypocrisie des hommes au pouvoir n’arrive pas à voiler la présence des malheurs que nous ne comprenons pas : nous savons seulement qu’ils sont là, qu’il arrive des malheurs quelque part. Ne nous dites pas que c’est pour notre bien. Ne vous contentez pas d’accuser le destin de faire éternellement le geste de Pilate.

Chacun trouve au fond de ses réveils tous les désordres du temps je ne sais combien de fois réduits à la médiocre échelle d’une inquiétude privée. Il y a en nous des divisions, des aliénations, des guerres et des palabres. On peut nous dire que c’est l’époque de la conscience malheureuse : cela ne nous empêche pas de craindre pour notre peau, de souffrir des mutilations qui nous attendent : après tout, nous savons comment vivent nos pères. Maladroitement, malheureux comme les chats qui ont la fièvre, les chèvres qui souffrent du mal de mer. Où était placé notre mal ? dans quelle partie de notre vie ? Voici ce que nous savons : les hommes ne vivent pas comme un homme devrait vivre.

Nous ne sommes pas satisfaits d’avance des