Page:Europe, revue mensuelle, No 93, 1930-09-15.djvu/22

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nous arrive-t-il pas ? Il est dur d’être une boussole affolée par un orage ou une aurore boréale, tournant vers les points cardinaux, dans une ombre traversée de sonneries, de feux, de cris, où la folie montre parfois un visage avenant. La folie fait la belle.

Notre enfance y est bien pour quelque chose : les édredons de plume de la vie provinciale, nos premières communions, les glycines de l’été quatorze ne nous ont pas préparés à l’apparition de la guerre. La mort de nos cousins et de nos frères, la licence donnée par l’absence de nos pères, les objets meurtriers de nos aînés ont fourni au désordre de mystérieux aliments : c’était celui de l’enfance miraculeusement soustrait aux complots pacifiques de l’ordre : la guerre nous a permis de vivre. Pas d’autre contrainte que l’obligation de se découvrir devant les morts et les drapeaux. Dans les nuits de raids, enflammées par les bombes, les sirènes, les hurlements des chiens dans les caves, les incendies, les enfants s’amusaient : tranquillité des parents.

Comptant sur les misères du temps pour former des cœurs héroïques et l’amour de la vertu, les professeurs et les mères ont pris peu de soins pour nous habituer aux valeurs morales qui coulèrent à pleins bords entre quatorze et dix-huit. Ils ont pensé qu’elles iraient de soi dans l’air civique et guerrier qu’on respirait dans les préfectures les plus lointaines du midi. Grâce à une erreur si grossière, à l’âge viril, nous ignorons bien des drames : mais on se met trop tard à nous enfoncer dans la tête les Lois comme des réclames sur la vérole : comment y croire, nous n’y voyons que des chaînes effrayantes pour un homme, des chaînes qui nous entaillent la vie. Être un homme nous paraît la seule entreprise légitime : nous sommes désespérés en découvrant que tant de beaux devoirs auxquels il fallait nous faire croire dix ans plus tôt ne laissent rien