Page:Europe, revue mensuelle, No 93, 1930-09-15.djvu/32

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Seulement la terre connue, arpentée, cadastrée, les gens d’Europe l’ont mise en coupe : on est partout volé comme dans un bois ; les paradis sont des entreprises commerciales de cobalt, d’arachides, de caoutchouc, de coprah ; les sauvages vertueux sont des clients et des esclaves. Les curés de tous les dieux blancs se sont mis à convertir ces idolâtres, ces fétichistes, à leur parler de Luther et de la Vierge de Lourdes, à leur révéler les culottes de chez Esders. Avec l’Eucharistie arrive le travail forcé du Brazzaville-Océan. Ainsi sont réduits au silence ceux-là mêmes de qui nos pères attendaient des secrets. Tout va bien : la prière et l’absinthe entrent dans le jeu, le cours des valeurs coloniales monte dans les bourses civilisées. Ceux qui abordent en dépit de tous les mauvais signes à Tahiti et aux Marquises y trouvent des missionnaires, si bons pour les lépreux, de grandes filles molles syphilitiques, des trafiquants grecs aux dents cariées, des sous-officiers alcooliques qui rêvèrent pour leur retraite d’être policiers à Saïgon.

Reste à conjuguer au futur les dernières utopies, à les enfoncer dans le brillant avenir du temps, à inventer enfin pour la consolation des populations urbaines les uchronies de la vie intérieure.

Mais il faudra parler aux hommes des actions présentes qui sont ici et en ce temps, et les mettre en train.

Ainsi, il y avait dans ce temps cruel dont je parle des hommes qui voulaient vraiment fuir les niches où les fixaient des chaînes de causes auxquelles ils ne comprenaient presque rien. Ils le voulaient sans hypocrisie, sans docilité à des mots d’ordre littéraires : ils n’étaient pas tous des intellectuels adonnés aux délices de leurs raisonnements abstraits. Ni des amateurs oisifs qui aiment les paquebots des croisières ruineuses ni des commerçants anonymes. Ces fuites étaient natu-