Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/105

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aux dessins de Léonard de Vinci et aux poèmes de Rimbaud, détournés de leur destin jusqu’à tomber au rang d’un canon ou d’un drapeau : ils permettent d’entrer dans l’univers où les choses n’exigent pas d’instructions spéciales sur le mode d’emploi, où les actions correspondantes n’entraînent aucun apprentissage, aucun dégoût, aucune mesure prophylactique, aucune sanction. Malheureusement, à douze ans, les hommes connaissent par cœur tout ce qui les suivra. Il s’agit de chercher les objets qui n’obligent pas à des dressages, à des actions étalonnées dans les bureaux des poids et mesures. Il faut tout espérer d’une vie où l’invention, la nouveauté, des objets capables d’éveiller tout ce qui n’a jamais servi composeraient un mélange plus joyeux que tous ceux de Platon. Toutes les ressources de l’homme, de son corps, de ses instincts, de ses beaux arts seraient utilisées, on s’apercevrait de l’existence de l’humanité. En attendant, vivons dans notre pauvreté, sous les coutumes des objets, les manies de nos frères, personne n’est content. Pourtant nos frères peuvent être les plus naïfs et les plus multiples de nos choses.

À Aden ce désœuvrement est terrible, on est privé de tout, même des semblants de l’art, de la philosophie.

Alors c’est la frivolité du passé, les poussières d’un avenir formé des habitudes et des systèmes, la folie qui combine les éléments de la pauvreté, celle qui ne comporte pas de melons en bouteille, de saisons en enfers, de femmes sans famille. Jeu d’échecs où le vivant perd les parties au bénéfice des morts. Le pressentiment obscur que le nombre de ces combinaisons indigentes est malgré tout infini conduit à ce que l’on ne saurait nommer que désespoir. Toutes les légendes du vide sont d’ailleurs la vie conforme à l’intelligence et à l’ancienne philosophie. La vie inté-