Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/112

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guettent les descendances de Thésée. En 1926, j’ai entendu des gens de commerce parler avec une émotion véritablement sincère de l’entrevue de Salomon et de la reine de Saba, du royaume de Balkis et de la Côte des Aromates. Ils croyaient que ces royaumes sont à leur porte, et se permettaient d’espérer qu’un archéologue sensible aux éléments fantastiques de sa science se mît à la recherche d’Ophir, « entre Aden et Dafar ».

Mais moi, je ne me condamnerai pas à l’enfer des voyages, qu’Ariane meure en paix. Mes ennemis ne peuvent pas compter sur cette naïveté de ma part.

Enfin on peut tirer des clartés profitables de cette proposition rudimentaire que les hommes sont partout, même dans les capitales du désert. J’ai fait bien des milles marins pour saisir pourquoi mes compatriotes que je devais aimer me faisaient peur. Quelle simplicité, il y a des femmes sensibles, des enfants, et même des hommes respectables comme des médecins, des notaires, qui se promènent seuls la nuit. Pour des quantités de raisons, profondes ou légères, qui ne me regardent pas actuellement. Il peut leur arriver d’apercevoir un arbre, un arbre qui n’est qu’un arbre, avec des branches et des feuilles, un tronc, une écorce, un aubier, avec des nids, des oiseaux de nuit, et peut-être une ombre, s’il y a de la lune. Ils peuvent le prendre pour un spectre qui en veut à leur âme, ou un bandit qui va violer la femme, voler l’homme, enlever l’enfant, ils peuvent fuir comme si un train arrivait sur eux. Mais ils pourraient aller voir de près et savoir qu’une branche déformée par la nuit n’est qu’une branche sur laquelle il ne serait pas plus défendu de monter que sur une branche de jour.

J’ai fait tous mes détours pour retomber finalement sur la branche qui m’avait fait si peur. Je veux dire que je retrouve les ombres redoutables que je