Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/117

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chés par l’eau de cuivre qui ruisselle sur leur peau de ce beau noir à reflets rouges du pays. Leurs cris qui filent vers le ciel ne retombent plus.

Le sol est comme un mortier de poissons morts : chaque pas écrase des arêtes, des coquilles, soulève une poussière mêlée d’écailles.

Un cri d’enfant, une querelle de vieille femme, un bêlement de mouton qu’on égorge derrière un muron, nul bruit de pas, nul chuintement de feuilles, pas de chants, de disputes, un silence sans frontières, tombe du ciel comme une pluie de cendres lancées par un volcan plus lointain qu’un appel d’alouette.

On voit des groupes dormir sur des places vides. Dans dés pièces blanches démeublées, des commerçants désœuvrés achètent et vendent quelques peaux. Ils fument ces cigarettes à l’Éléphant, aux Ciseaux, que Wills fabrique pour les gens de couleur, et qu’un blanc ne fume pas. Les hommes de Zeilah se nourrissent-ils de pierres ? Se sentent-ils oubliés au bord de leur désert ? Vivent-ils sous la terre pour habituer leurs corps au grand poids de la mort ?

À Hodeidah, dans les entrepôts, à l’extrémité de longs couloirs, derrière des vantaux travaillés, sont effondrées les collines verdoyantes de café où, comme dans un bain froid les membres perdraient leur sueur. Les petites juives descendues de leurs montagnes de Sana trient ce café. Elles sont couvertes de toiles bleues et passées, elles mordent dans le vent du désert le bout mouillé d’une étoffe rouge et noire. Sous leur crasse, qu’elles pourraient inspirer de désir, faute de temps ces désirs se désagrègent au soleil.

On est en avril : c’est le moment où les pèlerins montent vers Yembo et Djeddah, ports de Médine et de la Mecque. On croise du côté de Loheyah des transports chargés de gens de la Malaisie et de l’Inde