Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/119

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comme les morts dans l’air sans germes du désert. C’est une corruption stérile. Des habitants dont le nombre paraît immense au milieu de ces solitudes minérales remuent faiblement. Conduits par des activités dont le sens s’est complètement évaporé, ils se laissent couler vers la mort, assis sur des pierres tombées de leurs maisons. Ils sont dans une espèce de béatitude muette dont ils sortent pour parler à toute vitesse, pour signer de moment en moment des papiers de commerce.

Un Européen n’arrive pas à séparer, dans les idées qu’il peut former de la vie, les gestes humains des apparitions rafraîchissantes des végétaux, des rivières et des machines. Une inquiétude que les meilleures raisons ne sauraient dissiper saisit ce petit-fils de paysans et d’artisans devant une existence consacrée à des tâches inexplicables qui ne se mesurent pas en dernier ressort à la croissance d’une moisson, à la production d’un outil, devant des loisirs qui ne comportent pas normalement la marche dans un jardin.

De sa vie à celle des plantes le plus facile et le plus constant des échanges est institué : le mouvement des saisons qui n’ont pour lui qu’une réalité végétale lui sert de repères. Ses divertissements, ses repos sont saisonniers, ses fêtes religieuses mêmes. Il connaît des travaux et des plaisirs pour les quatre saisons. L’habitant des villes n’est pas exclu de ces lois, il lui suffit de voir les feuilles des marronniers, pousser, les cerises paraître chez les fruitiers. Il sait dominer les forces modestes de ses climats : il entretient donc l’illusion d’une nature docile et peut-être complice, assujettie à ses propres destins. Sur les bandeaux tempérés de la terre, il se croit libre parce qu’il triomphe.

L’Européen est encore mécanicien. L’invention, l’usage et l’intelligence des instruments, des machines occupent les heures qui ne sont pas rattachées finale-