Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/89

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ment aboli. Pas de loisirs pour la paresse, pas de loisirs pour l’amour : dans ce trou étouffé où il fallait bien vivre coude à coude, — il y avait 580 habitants au mille carré — on ne trouvait aucun des espaces solitaires où des amants sont assurés d’être méconnaissables. D’ailleurs il y avait une femme pour trois mâles. Pas de musiques, ni de fêtes foraines : quel blanc eût été admis à des frairies de Ramadan, à cet étrange carnaval hindou où les plus graves vieillards s’aspergent d’encre, où les portes austères sont ornées de symboles obscènes.

Quand on essayait de parler des Beaux-Arts et de la question sociale, cela sonnait si faux et si vain que toutes les voix se taisaient. On sentait qu’il était inutile de prendre ces déguisements au sérieux, ils paraissaient déplacés comme des obscénités à un repas d’évêques.

La vie des hommes étant réduite à son état de pureté extrême, qui est l’état économique, on ne courait jamais le risque d’être trompé par les miroirs déformants qui la réfléchissent en Europe : l’art, la philosophie, la politique étant absents faute d’emploi, il n’y avait aucune correction à faire. On voyait les fondations de la vie d’occident, les hommes étaient mis à nu comme des modèles anatomiques. Pour la première fois je voyais des gens qui n’exigeaient pas, qui ne justifiaient pas une philosophie des vêtements.

Aucune concession à l’amour de l’art, rien à chanter, rien à risquer, rien à peindre, pas de poèmes à lire et à écrire. Les seuls accidents sincères de leurs journées étaient les dépêches de l’Eastern Telegraph Company, agents anonymes des puissances lâchées sur les marchés de l’Europe et des États-Unis. Tous les cœurs étaient suspendus à ces ondes électriques qui circulaient sous des tas de mer à une vitesse dont aucun actionnaire de la Shell ne cherchait à se