Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/91

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man’s bay, vers le club de Gold Mohur où nageaient les femmes blanches de la colonie séparées des requins par des grilles. De rares couples montaient vers le phare isolé de Ras Marshag. Les gens allaient voir dans les crevasses du volcan quelques arbres à fleurs de pommier gonflés d’eau comme des choux, et le lendemain d’orages dérisoires, des prés de lys blancs. Ils montaient encore au-dessus des citernes voir un grand banyan exilé avec des cargaisons dans ses agrès, de martinets aux pattes courtes qui y dormaient le soir.

Les billards résonnaient dans les clubs, on buvait, on jouait aux cartes au milieu des airs de danse à Steamer Point. C’étaient leurs maigres heures de suspension d’armes. Ils essayaient alors de faire quelque chose pour leurs corps : comme ils étaient pour la plupart Anglais ils savaient heureusement comment s’y prendre. Leurs corps recevaient une ou deux heures d’existence, mais non les corps italiens, les corps français, trop prudents pour se mouvoir.

C’étaient aussi les heures où ils cédaient après tout aux illusions. Ils parlaient comme M. B… de leur action. C’est un mot qui fait rêver tous les hommes car c’est la chose qu’ils n’ont pas. Ils essayaient de se faire croire qu’ils agissaient. Ils finissaient par le croire. Ils étaient donc poétiques : être poétique c’est avoir le besoin d’illusions. Ils développaient cette illusion avec les ressources de l’intelligence, leur vieille servante maîtresse. Ils en faisaient la théorie.

Mais ils ne trompaient pas. On sentait bien qu’ils n’aimaient pas leur vie. Ils avaient beau se forcer : l’amour ne venait pas. Ils continuaient à vivre en pensant à ce qu’ils avaient fait, à ce qu’ils avaient à faire, le temps passait. Ils tenaient debout à force de tics. Ils étaient bien dressés ; leurs parents pouvaient être fiers d’eux, leurs patrons aussi. Ils n’avaient pas