Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/96

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disque d’un puits. Malheureusement quelqu’un retourne du pied le cadavre blanc d’un serpent, pendant le déjeuner au milieu des citronniers des aigles tombent du ciel comme des pierres et dérobent les os qu’on lance aux chiens dont la mâchoire ne mord que le vent et une plume perdue.

Sur les chemins, on croise des bandes de travailleurs qui reviennent du champ. Nus ils portent seulement une foutah serrée par une ceinture de cuir brodé où pend un couteau recourbé dans une gaîne d’argent. Un gros fil noir est entouré à leur cheville. Un lépreux assis au bord de la voie écarte les mouches du soir avec un geste doucereux de machine.

Impossible de voir des hommes plus en ruines que les sujets du sultan : les ouvriers que j’ai vus sortir des mines de bauxite sur la route d’Aix-en-Provence, couverts de terre rouge, respiraient la force et la joie auprès d’eux. Vingt mille êtres mènent cette vie de purgatoire pour que ce marquis de Carabas indigène puisse regarder ses prés verdir à l’ombre des avions militaires anglais, puisse se regarder en paix dans ses boules de verre et voyager au Caire, à Londres et à Paris. En allant vers Lahej, on pensait à l’herbe, aux femmes qu’on voudrait renverser sur elle après plusieurs mois de chasteté, mais voici qu’il faut demander à l’herbe les mêmes comptes qu’aux cheminées d’usine de Saint-Ouen.

Orient, sous tes arbres à palmes des poésies, je ne trouve encore qu’une autre souffrance des hommes.

Un autre jour, je pars pour Djibouti sur le bateau à moteur Halal. Le Halal est un vieux rouleur de Mer Rouge dans les quatre cents tonneaux, alourdi par ses mâts de charge, avec une cheminée maigre à l’arrière. Le capitaine Mac Lean le laisse marcher tout seul, ce n’est pas un de ces bateaux à caprices qu’il faut surveiller pendant tous les quarts, il file tout seul