Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/98

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d’autres vêtements que l’Angleterre. Je suis chez moi place Ménélik, assis à une terrasse de café dans le style de Montélimar, d’Avignon, devant une station de fiacres avec des tentes à franges, comme à Périgueux. Chez moi, en voyant à la porte du commissariat de police le commissaire insulter un indigène de sa voix d’ancien adjudant de coloniale. Chez moi au tennis, en parlant au président du tribunal qui porte une barbe radicale socialiste, un ventre du sud de la Garonne, à sa femme taillée sur le modèle dont sont faites dans la métropole les femmes de colonels et les matrones de la rue Paradis. Chez moi devant la poste, me demandant comment le directeur a si vite acheté une auto. Chez moi, sur le plateau du Serpent, en voyant les jeunes filles se promener avec un bandeau autour des cheveux comme à Quiberon, en apprenant de qui la femme du directeur des chemins de fer est la maîtresse. Chez moi, enfin, en découvrant dans la boutique d’un épicier grec, sous des piles de boîtes de thon de chez Amieux, le texte grec de Prométhée enchaîné, d’Œdipe à Colone.

Le même ennui sans formes qu’à Aden, mais en manches de chemise retenues par les élastiques des coiffeurs, mais avec le goût des vermouth-cassis, des mandarins-curaçao. Tous ces hommes aussi tournent en rond, heurtés aux murs invisibles de leur destin, faisant aux mêmes heures les mêmes mouvements que les Anglais de la côte d’Asie, filant en auto le soir vers le jardin d’essai d’Ambouli où vont se consoler des couples dont les partenaires sont toujours des pièces de rechange. C’est la nuit, on tient une femme sans nom contre soi, les maigres arbustes de la steppe défilent, les chameaux leur broutent la cime : comme ces arbustes ont des formes et des proportions d’arbres faits, on se croirait dans un paysage préhistorique, les chameaux grands comme des iguanodons.