Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/109

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— Voilà ma classe ! Voilà d’où je viens et où je suis destiné à pourrir ! Voilà le sentiment de dignité humaine propre au monde dont on espère la grande libération de demain !

Il y avait bien le socialisme. Mais il s’infiltrait dans l’esprit des masses avec la vitesse d’une tortue ? Au stade où il se trouvait, il faisait figure d’échantillon, tel un tigre ramolli dans un parc public de la « Zoo » révolutionnaire. De la révolte recommandée. De l’espoir offert en pilules et garanti conforme à une doctrine totalement indigeste. Il dispensait l’homme de juger et de sentir. Il lui défendait même de le faire autrement qu’en masse et sur commandement. C’était une question d’état-major, une affaire des chefs dépositaires de registres.

« Oui, le socialisme. Le salut problématique des esclaves. Il me fait une belle jambe ! »

Ne pouvait-on pas agir autrement ? Tout seul. S’esquiver. Saboter. Travailler le moins possible, au prix des pires privations ? L’ordre, la chaîne de l’ordre, voilà l’ennemi ! Les anarchistes ont bien raison. Cette société humaine, y compris ses moutons révolutionnaires désireux d’un nouvel ordre, encore de l’ordre, n’a pas droit au moindre respect.

« Il faut tirer une carotte à cette société, une carotte quotidienne et très honnête ! »

Car enfin, s’il y a l’idéal commun de demain, on a aussi sa vie à soi, son idéal quotidien, qu’il fallait réaliser de son mieux. Il y avait ce tas de beaux livres, qu’Adrien venait d’acheter chez les antiquaires et qu’il n’avait pas le temps de lire. Il y avait ses belles pensées, ses rêveries.

Et ces allées magnifiques ? Ces tilleuls en fleurs ? Ce chant des oiseaux ? Cette fraîcheur ? Cette douce promenade matinale dans le bois, qui lui faisait bénir l’existence ? Tout cela ne comptait pas ? Fallait-il se résigner à payer sa cotisation, à écouter des discours et à chanter l’Internationale pendant des siècles ?

— Adrien !

Une voiture venait de le croiser. Elle s’arrêta. Une jeune et belle femme, modestement vêtue, sauta à terre. Elle vint à Adrien, les deux mains tendues.

— Loutchia !

— Mais oui, c’est moi ! Que je suis heureuse de te