Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/115

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— Quelle question ! fit-elle, regardant sa montre. Mais parce que je t’invite à déjeuner avec moi. Tu ne refuseras pas, j’espère !

Et avant qu’Adrien ait pu esquisser la moindre opposition, elle fit stopper un mouscal et sauta dans la voiture. Adrien la suivit, tête basse. Tête vide de songes ! Mais corps brûlé par le désir de dévorer la femme ! Oui : dévorer cette chair jeune et sotte. Sotte ! Quelle stupidité ! Comme si on faisait l’amour avec l’intelligence ! Après tout, l’amour aussi fait partie du « vagabondage dans l’universalité du songe ». Ne se sentait-il pas, en ce moment, transporté de bonheur ? Voilà encore du divin ! Cette belle femme que tant de Bucarestois voudraient posséder, c’est lui qui la possédera tout à l’heure, lui, qu’elle désire de toute son ardente jeunesse, quand même elle serait sotte ! Puis, soyons justes, depuis un mois qu’il peinait à Bucarest, sans avoir touché la moins désirée de toutes les femmes, n’avait-il pas senti le vide de sa dure existence ? Pourquoi donc écarter de ses lèvres, de ses yeux, ce corps qui frémit à côté de lui ? Pourquoi ? Pour aller un soir, rue de la Croix-de-Pierre s’abreuver d’un amour qu’on achète avec un franc ? Certes, il y a les livres, il y a ses rêves, sa liberté. Eh bien, il aura tout cela… et l’autre. Elle ne lui a posé aucune condition, ni plus parlé de mariage. Elle s’offre à lui. Doit-il la repousser ? Voilà ce qui serait bête. — Mais il y a ce sacré mouscal !

— Eh bien, s’écria-t-il tout haut : tant pis pour le mouscal aussi !

Elle le regarda, amoureuse :

— Pourquoi « tant pis pour le mouscal », mon chéri ? Et pourquoi… aussi ?

— Je pensais à une de mes convictions.

— Ah, oui ! Tu n’aimes pas le mouscal !


Elle occupait un minuscule mais propret appartement rue des Saules. Quartier de gens aisés. Adrien aima tout de suite son intérieur, malgré le manque de goût qui y régnait. Mais, du vrai goût, il n’en avait lui-même pas énormément et n’en faisait pas grand cas. Pourtant chez Loutchia, il fut choqué par la multitude de cartes postales illustrées, de bibelots