Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/118

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facile et mon indépendance. Mais tout n’est pas bonheur à ce foyer. Il y manque l’homme. Je sens cette absence chaque fois que je sors, chaque fois que je rentre, quand je suis à table et quand je me réveille au milieu de la nuit. Je pense que toutes les femmes seules doivent sentir cette absence. Et sais-tu pourquoi ?… Tu souris, mais tu as tort, tu n’y es pas. Oh, je sais que je suis bête ! Cependant, je vais t’apprendre ceci : ce qui manque le plus à une femme — qu’elle soit bête ou intelligente, riche ou pauvre, mais femme — ce n’est pas l’amour, ni le pain, et pas même un père pour son enfant, c’est une protection. Si une femme est vraiment femme, le protecteur ou l’appui est son premier besoin, dès qu’elle se lance dans la vie.

Voilà pourquoi les prostituées ont des souteneurs. De toutes les femmes, elles sont les plus seules dans la vie, elles qui pourtant ne sont entourées que d’hommes. Mais tous ces hommes ne font que profiter de leur jeunesse, de leur beauté. Certes, le jour où jeunesse et beauté ont disparu, le souteneur ne vaut pas plus que les autres, mais là n’est pas son rôle. Il n’est que le compagnon des heures tristes qui abondent dans la vie quotidienne d’une prostituée. Ce compagnon, que le ciel accorde à toute femme honnête, la prostituée se l’achète, le paie. Elle le veut au prix même d’être battue par lui et cruellement exploitée. Car, pour une femme seule, plus impitoyable que la canaille est sa solitude.


— Je suis édifié, dit Adrien, feuilletant Graziella. Mais je regrette de ne pouvoir être un compagnon, fût-ce des plus honorables, pour aucune femme.

— Ce n’est guère louable, ce que tu dis là ! Tu dois être un féroce égoïste !

Adrien se fâcha :

— Mais tu es folle, ma foi ! D’abord, je n’ai pas liquidé l’affaire du service militaire, puis je n’ai pas de situation.

— De la blague, tout cela ! Du service, tu seras exempté, car tu es fils unique d’une mère veuve et sans fortune. Quant à la situation, qu’est-ce que tu espères ? Devenir un jour procureur ? Ne gagnes-tu pas ton pain ? Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?