Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/127

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devait cent deniers. Il le prend à la gorge, le terrasse, lui réclame sur-le-champ son dû et, comme l’autre ne peut pas payer, il le jette en prison. Alors le maître l’appelle et lui dit : « Serviteur perfide ! Pour toute ta dette je t’ai pardonné, puisque tu m’en as prié. Ne fallait-il pas à ton tour, pardonner à celui qui te priait de lui accorder un sursis ? » Et, se fâchant, le maître jeta son serviteur aux travaux forcés, jusqu’au paiement de toute sa dette.

Cela est écrit au chapitre XVIII de l’Évangile de saint Mathieu. Et il faudrait voir si tu n’es pas ce serviteur perfide.

Mikhaïl souffla à Adrien :

— Il sait tous les évangiles par cœur, mais ce n’est pas pour les avoir lus, car il est complètement ignare. Il se les est fait lire plusieurs fois et a tout fixé dans sa mémoire.

Dans le « Bureau », tous ceux qui connaissaient l’illuminisme de Vassili rirent de la tête que fit le domestique ainsi apostrophé. Celui-ci s’en aperçut et s’offusqua :

— Qu’est-ce que tu me chantes là avec ton saint Mathieu ! Aucun pauvre ne me doit de l’argent et je n’ai jeté personne en prison. Mais si je pouvais mettre la main au collet de quelques riches qui m’ont volé un argent gagné à la sueur de mon front, eh bien, malgré tous tes évangiles, je les enverrais dans l’autre monde, sans plus de sursis !

Vassili se tapa les cuisses, ricanant :

— C’est cela ! Et cela aussi est écrit : « N’entreront pas dans le royaume de Dieu tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! » Ha, ha ! Les pauvres ! Pauvres ou riches, chacun croit faire quelque chose pour le salut de son âme, simplement en criant : Seigneur ! Seigneur !

Toujours plus furieux, au grand amusement des auditeurs, le vieux répliqua :

— Et que fais-tu de plus, toi l’adventiste ?

— Moi ? demanda Vassili, devenant tout à coup grave, moi ? Eh bien, je ne te raconterai qu’un fait, et je voudrais voir ensuite ta tête : c’est, jeune recrue, de m’être jusqu’à la fin refusé à jurer fidélité au drapeau. Car il est dit : « Que ta parole soit oui, oui ; et non, non ! » Et j’ai déclaré à ces Messieurs que je serais fidèle au drapeau, sans prêter de serment, mais à condition que le drapeau ne me demande rien qui soit