Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/137

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il n’avait pu être aussi affreusement arrosé de chaux rien que par mégarde. On l’avait fait exprès. Et c’était le camarade du premier, un diable de gamin, qui s’amusait à faire cela. Travaillant au-dessus de lui, plus d’une fois Adrien l’avait surpris en train de tremper sa brosse et de la décharger violemment sur la tête d’un paisible piéton. C’était son plaisir et la punition qu’il appliquait à ceux qui se moquaient des avertissements. Le coup fait, on eût juré qu’il n’y était pour rien ? On le voyait imperturbable, absorbé par sa besogne, tandis qu’en bas le piéton arrosé s’égosillait en vain. Puis il riait comme un bossu, tout seul.

Cette fois, son jeu n’alla pas sans qu’il y eût de la casse. Le patron voyait bien qu’il ne s’agissait pas de quelques gouttes de chaux tombées par hasard. C’était une averse que le colonel avait reçue sur la tête. Mais comme l’ouvrier du rez-de-chaussée avait été mis hors de cause par l’enquête, Adrien ne voulut pas se sauver à son tour, au prix d’une déclaration contre le coupable, d’autant plus qu’ils étaient bons amis. Il se tut, empocha sa dernière paie et alla raconter à Mikhaïl l’hilarante histoire.

Mikhaïl approuva son attitude :

— Tu ne pouvais pas agir autrement. Tant pis ! Peut-être qu’il y aura moyen de trouver de l’embauche ailleurs Enfin. C’est malheureux, mais c’est ainsi.

Et puisque le lendemain dimanche Loutchia les attendait tous deux, avec un canard aux petits pois, eh bien, ce n’était pas le moment d’être triste.

Vive Loutchia et… son canard !

panaït istrati.

(À suivre.)