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Page:Europe (revue mensuelle), n° 124, 04-1933.djvu/93

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vins français. À trois heures, Adrien et Loutchia partaient pour Baneasa :

— Nous serons constamment autour de la buvette des congressistes. Vive l’amour, les enfants !


Une fête champêtre socialiste, à cet âge d’or du socialisme et de la foi humaine, était un spectacle qui réchauffait le sang du sceptique le plus blasé. Tout un monde de martyrs de la besogne obligatoire, rendue insupportable par une cruelle exploitation à ses débuts, venait y clamer son brûlant espoir en une délivrance qu’on voulait prochaine. Forêt, soleil, plein air et une grouillante fraternité. Pas un visage qui n’arborât son plus franc sourire. Pas une âme qui ne fût prête pour le grand sacrifice. Totale et universelle confiance dans l’avenir de l’humanité. L’homme, cette brute, croyait en lui-même.

Camarade ! Qui es-tu ? Sondeur de Câmpina ? Charpentier de Galatz ? Tisserand de Jassy ? Débardeur de Braïla ? C. F. R.-iste de Constantza ? — Viens que je te paie un verre ! — À bas le capitalisme ! — Vive l’Internationale socialiste !

C’était tout. Neuf cervelles sur dix ne savaient rien de plus. Mais toutes les neuf étaient alimentées par des cœurs généreux, tels qu’on n’en connaîtra plus jamais. Cela aura vécu. La grande délivrance sera l’œuvre d’un monde désabusé. Œuvre morte. À chacun, sa grosse tranche de pain, enduite du fiel de l’indigence spirituelle. C’est le destin de la brute humaine triomphante.


Le crépuscule de juin commençait à aplatir les visages en les déformant, quand Adrien, Mikhaïl et Loutchia, grisés, et fourbus de s’être livrés sans ménagement aux jeux d’une foule irrésistible dans son entraînement, s’éloignèrent un peu du tapage pour se promener dans le bois et respirer l’air pur. Ils se dirigeaient lentement vers la buvette pour échanger encore un regard avec Polixéni et se désaltérer.

Chemin faisant, Adrien vit un homme qui venait à leur rencontre. Le type du sportsman, soigneusement mis, mais dont toute la personne attestait le penseur. Un penseur malgré lui, inné, un homme dont le cœur et le cerveau témoignaient,