Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/100

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On restait, consterné, devant la chambre vide. On crachait et on s’exclamait :

Bon voyage, peu de bagages !

Dans les meilleurs cas, alignée comme des orangs-outangs des deux côtés du vestibule, toute la valetaille alertée par la cloche des départs, on recevait cinquante centimes, parfois un franc. Lorsqu’on en recevait deux, la violence de la courbette exécutée faisait craquer l’échine :

— Merci ! Merci ! Merci !

Et au moment du départ, on savait à l’avance si le client était de ceux qui donnent ou de ceux qui ne donnent pas. Dans le premier cas, le voyageur s’apercevait à temps de la misérable présence des « orangs-outangs » dont les espoirs lui barraient le chemin mieux qu’un fleuve de feu ; il en comptait rapidement les têtes et se pourvoyait à la caisse de la menue monnaie appropriée. Et lorsque, la conscience tranquille, le brave, l’excellent homme s’engageait dans le passage brûlant de l’étroit vestibule, il avait déjà l’argent à la main, le faisait même sonner, distrait, inconscient, tout en causant au patron qui, lui aussi, sans avoir l’air de rien, soupesait dans sa tête le montant de la somme destinée aux pourboires, dont la distribution n’était plus qu’une question de détail.

Tout aussi facile, mais combien désolante, était la constatation préalable qu’on faisait dans l’autre cas, celui du voyageur qui aime trop son argent. Cette vilaine bête ne se pourvoit jamais de menue monnaie, ne redoute guère le passage des espoirs enflammés, joue toujours la comédie de l’homme pressé qui ne voit pas les « orangs-outangs » et parle, et raconte, et gesticule, et rit, tout en payant à la caisse, tout en soignant sa mallette et son pardessus, puis, comme une flèche, bravant le cri de sa conscience, s’élance vers la sortie. Mais les gorilles le serrent au passage :

— Bon voyage, Monsieur, bon voyage !

— Ah ! oui… vous… (il fouille dans toutes ses poches) c’est embêtant ! Je n’ai que ces sous-là, cette fois.

« Cette fois ! »

Il y avait pire. Les « mensuels » par exemple, ceux qui logent au mois. Ce n’est pas assez qu’ils vous gratifient d’un