Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/107

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le chemin de sa ville natale. « Retour au lieu d’origine ! »

Le nom d’Adrien parut dans les journaux. La bonne banlieue s’empara de la nouvelle et la commenta à sa façon :

— On le savait bien ! Un chenapan ! Il ne se passera pas longtemps avant qu’on l’aperçoive mis aux fers, entre deux baïonnettes ! Pensez donc : un « sotsialiste » ! C’est-à-dire, contre l’État ! Ah, non, alors !

Et la pauvre mère qui ne comprenait rien :

— Pourquoi te mêles-tu des affaires de l’État ? Est-ce là une question qui regarde les gens de notre rang ? Peut-on quand on est pauvre, se croire plus intelligent que les ministres ? Et comment « lutter » avec ses bras nus contre l’État qui a la police et l’armée ? Puis, qu’as-tu, bon Dieu, à prendre la « défense » des ouvriers russes ? Tu es fou ! Ne sais-tu pas que le puissant tsar peut, n’importe quand, venir, nous rendre esclaves, comme il l’a déjà fait du temps de mes grands-parents ? Voilà qui manquerait encore à notre misère ! Les sotnias de cosaques ivres, qui chapardent les pourceaux et violent les femmes ! — Laisse donc l’État tranquille et occupe-toi de tes affaires !


Seul, triste, ses économies presque gaspillées, Adrien s’ennuya pendant deux semaines à Braïla, mais du moins il passa devant le conseil de révision, fut trouvé inapte pour le service et exempté. Il était maintenant libre, libre de franchir la frontière ! Vers le milieu de février, il fila de nouveau à Bucarest.

Mikhaïl le reçut fraîchement. Durant près de deux mois, il avait bataillé avec le patron pour garder la place d’Adrien, au moyen de remplaçants provisoires qu’il instruisait lui-même et qu’il aidait pour que le service ne souffrît point. À présent, un garçon « définitif » occupait l’étage. Il avait déconseillé à Adrien de participer au meeting malencontreux. L’autre n’en avait fait qu’à sa tête.

— Que vas-tu devenir, maintenant ?

— Je ne te demanderai pas à manger ! répondit-il, malhonnête.

Le brave Mikhaïl se fâcha, et il y avait de quoi. Ils se séparèrent brouillés. Adrien retourna au « Bureau », flâna