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Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/15

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la terreur dans l’âme, au cours de l’année de réouverture. Toujours assis à sa fenêtre, la bouteille et le petit verre devant lui, la porte fermée à clef, le chien à ses côtés, l’oncle regardait dehors. Un premier char passa, les deux hommes qui conduisaient descendirent et frappèrent à la porte. Il ne bougea pas, et ils partirent. Un second char s’arrêta. Un homme, sans descendre, cria :

— Anghel ! peut-on boire un verre ?

Il fut servi.

Allant chercher l’oncle Anghel, sur l’ordre de sa mère, Adrien pensait à ces malheurs, et il se dit :

— Maman se trompe, si elle croit que je pourrai décider l’oncle à sortir de son terrier.

Certes, la chose n’était pas facile, car il ne s’agissait pas seulement d’une visite, mais d’une réconciliation. Les deux oncles, lors de la mort de leur mère, survenue huit ans auparavant, s’étaient brouillés sur une misérable question d’héritage. Dans le feu de la discussion, l’oncle Anghel, contrairement à la volonté de sa sœur aînée, opposée au partage, eut le tort de dire : « Je veux avoir un franc héritage de ma mère pour acheter un rosaire et l’accrocher à l’icône, sachant qu’il est de ma mère » ; l’oncle Dimi, violent, lui répondit par une insulte ; son frère le gifla, et le cadet commit la faute de frapper son aîné d’un coup de canne au front. Il sortit de la maison paternelle, en disant :

— Je ne rentrerai plus ici, ni toi chez moi, que le jour où tu embrasseras devant le monde la semelle de ma botte !

Depuis, ils restèrent brouillés. Avant la mort qui porta le coup de grâce à l’oncle Anghel, le cadet résista, têtu, à toutes les supplications de sa sœur qui le priait d’aller demander pardon à son frère ; et après