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Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/22

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entré ici, ce soir, le saint jour de Pâques, sans prononcer le salut de tout bon chrétien orthodoxe.

L’autre, comme s’il venait de terre lointaine, demanda, visiblement inconscient du reproche :

— Quel salut, père ?

Le prêtre saisit cet état d’inconscience, et dit calmement :

— Eh bien, notre parole sacrée : « Le Christ est ressuscité. »

Anghel baissa la tête, toucha du doigt un débris de pain qui se trouvait devant lui sur la table, puis leva le front et répondit :

— Je ne crois pas que Christ est ressuscité ! Les morts ne ressuscitent point.

— Anghel !… tu es un impie ! Christ n’est pas un « mort », mais le fils de Dieu, et Dieu lui-même !… s’écria l’homme d’église, toujours calme, mais la voix un peu tremblante.

— Je n’en sais rien, répondit Anghel, sans aucun trouble.

Et, disant cela, il tira de la poche de son manteau une bouteille d’un demi-litre, de l’autre poche un petit verre, le remplit tranquillement à la vue de tous, et remit la bouteille à sa place. Du verre il dégusta une petite gorgée qu’il promena dans sa bouche, avant de l’avaler, puis, il le mit devant lui sur la table, avec des précautions, comme s’il craignait de le voir renversé.

L’assistance fut stupéfaite. La mère d’Adrien se couvrit les yeux avec une main et pleura en silence. Anghel, imperturbable, ne comprit rien de l’horreur produite. Il promena sur les assistants un regard calme, comme s’il avait fait l’action la plus naturelle. Et pour lui, en effet, elle l’était devenue, depuis près de trois ans qu’il la faisait cent fois par jour, seul, hors de la portée de tout reproche.

— Pauvre Anghel !… s’exclama le prêtre. Je te