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EUROPE

mal, mais la haine et l’envie de planter votre couteau dans le ventre du tyran.

« On a trouvé des malheureux qui, débordés par la haine, ont oublié le péril et ont frappé. Une minute après, ils allaient à la mer, le cœur traversé d’une balle.

« Sur notre bateau, un seul esclave osa payer de sa vie cet instant de révolte. Il nous servit d’exemple, mais nous ne l’imitâmes pas. L’homme est lâche : quand ce n’est pas lui qui tient à la vie, c’est la vie qui tient à lui, et c’est le même diable. Car le but de la création n’a pas été de peupler la terre d’être dignes, mais d’animaux.

« Animaux prisonniers, nous avons continué notre tâche de vermisseaux plongeurs : apporter des éponges et souffler un peu, revenir les mains vides et recevoir des coups. Au loin, Alexandrette, Mersine, la rive, nous semblaient une terre promise. Là-bas l’homme était libre d’être flemmard, libre de crever de faim, libre !

« Nous étions embauchés pour trois mois. On nous en fit faire quatre, pour le même prix. En septembre seulement, on nous ramena au Pirée, on nous jeta à terre, comme des outils bons à rien.

« Pauvres vauriens, sans noms et sans dieux. Leur joie fut tellement grande, qu’une semaine durant ils ne dessaoulèrent plus. Lorsqu’ils revinrent à la réalité, ils n’étaient bons qu’à se faire prendre au lasso d’une autre aubaine, à être conduits à dieu sait quelle autre pêche.

« Je n’ai pas fait comme eux. Et aucune malice n’a plus réussi, depuis, à m’agripper. Il est vrai que je suis resté un homme sans raison d’être.

« Mais qu’est-ce que ça fait à Dieu si une pierre, tombant du ciel, écrase sur la terre un grain de maïs ou un homme avec grande raison d’être ?

PANAÏT ISTRATI