Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/101

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la certitude d’un rendement étant inconcevable, le peu qu’il récolte est considéré comme une faveur du ciel. Il est convaincu que rien ne lui est dû, depuis la terre dont le Sereth est le maître, jusqu’à ses pauvres bêtes qui sont toute sa fortune, mais qu’il ne confie pas moins à ce pâturage dangereux d’où elles ne rentrent souvent plus.

Livrer combat à la terre, lui demander le maximum et l’espérer, mais n’en obtenir que juste le nécessaire, souvent même moins que le nécessaire, et parfois rien, voilà qui humanise l’homme de la vallée du Sereth, cette contrée de la Roumanie où la clôture des ménages ne protège que de l’incursion du bétail ; où les portes n’ont de cadenas que pour avertir le visiteur de l’absence du maître ; où la jeune fille incruste mille heures de son ardente solitude hivernale, dans une chemise de nuit qu’elle brode pour l’offrir le jour de son mariage au plus aimé des commensaux.

Là-bas, l’horizon est plus près de l’homme ; la coupole céleste, plus haute et plus ballonnée. Et de quelque côté qu’on tourne le regard, partout la promesse coudoie le danger. C’est ce qui justifie l’expression, commune aux paysans de l’Embouchure : « Quand je ne sais plus où donner de la tête, je lève les bras au ciel et je pense à autre chose. »

Ce n’est pas là du désespoir. C’est le prompt réveil du désir, qui vient crier à l’homme : Tout est pour toi. Nulle part n’est écrit que quelque chose te puisse être refusé.

Ainsi comprend-il que la possession n’est pas dans le rassasiement ; qu’elle est un peu dans la vibrante satisfaction pour laquelle on a durement bataillé, mais qu’elle est toute, toute, dans le plein désir, ce grand appel de la vie.