Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/111

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son temps à élever des chevaux. Ce n’est pas seulement parce que les loups les mangent, ou qu’on vous les vole. C’est qu’un poulain immobilise sa mère et vous embarrasse. Comme cela arrive souvent au moment des grands travaux, il n’y a rien d’autre à faire : il faut le tuer, ou le jeter à l’orée du marais, pour que les loups en fassent leur pâture. — Aussi, ton père aurait dû faire comme presque tout le monde.

— C’est tsatsa Minnka et moi qui l’en avons empêché, murmura Zamfir. Il était si grand, si beau, ce poulain, dès le premier jour !

L’express de quatre heures du matin passa, secoua la terre du hameau. Zamfir le regarda, hébété, ébloui par ses feux. La lune s’était maintenant complètement cachée dans les nuages, la nuit était noire. L’enfant se sentit plonger comme dans un abîme. Une fièvre froide lui fourmillait dans tout le corps. Il se mit à marcher courageusement le long de la voie ferrée, en gémissant :

— Tsatsika… Tsatsa Minnka…

Il ne pensait plus au poulain. Il pensait à sa sœur, qu’il adorait et qui l’adorait : se jeter à sa poitrine, lui abandonner ce corps de plomb qu’il traînait dans le noir et la détresse. Mais où était-elle, tsatsa Minnka ?

Quelques jours auparavant, son père l’avait affreusement battue, puis, chassée de la maison. Elle devait être réfugiée chez l’une de leurs deux tantes, à Kiscani ou à Cazassou. Ou, peut-être, est-elle tout simplement chez Minnkou, leur ami, à elle et à lui ?

Un train de marchandises le rejoignit, ralentissant sa marche à la dure montée de la côte braïloise. Zamfir s’arrêta halluciné. La longue chenille des wagons noirs bougeait à peine. La locomotive, pareille à un être humain, avançait en crachant ses poumons. L’enfant