Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/99

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Du plateau de Braïla à celui de Galatz, la vallée du Sereth vous emplit l’âme de désirs. C’est un ventre de terre, que des éléments passionnés ont labouré et fécondé d’envies. Ils ont tout promis à l’homme et rien assuré, sauf le désir, cette force qui permet à notre cœur de tenir tête à l’existence, amoindrissant la satisfaction et combattant l’adversité.

Quand le rapide « Bucarest-Danube » s’engage sur l’immense digue qui relie ces deux plateaux, surplombant l’Embouchure, un vague pressentiment d’éternité méconnue gonfle votre poitrine. C’est comme un rappel à quelque amour, longtemps déconsidéré.

Une lumière diffuse qui comble un grand vide vous réveille de l’indifférence meurtrière. Il n’y a rien à voir par la fenêtre, sinon, longeant le convoi, quelque superbe ciseau des marécages dont le regard curieux inspecte l’intérieur des compartiments ; ou bien, lors d’un passage à niveau, certain vieux paysan qui ôte son bonnet pour saluer tout le train, par crainte des pouvoirs publics. De loin en loin, des agglomérations de chaumières arbitrairement parsemées, surgissent comme autant de défis lancés au bonheur facile. On y voit aussi, selon la saison, des hommes et des bêtes qui se confondent avec la glèbe. C’est tout. Point de nature éblouissante. Point de civilisation.

Dans l’Embouchure, la terre n’a d’autre but que de forcer l’homme à se mesurer avec Dieu. Elle s’offre à lui, riche de sève, l’engage à y miser toute sa sueur, mais, quant à récolter, une main invisible soupèse le résultat d’une manière aussi prometteuse que menaçante. Ici, Dieu sourit à l’homme avec une gueule d’ogre : « Voici, lui dit-il, une terre généreuse que tu n’as qu’à gratter légèrement pour vivre dans