Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/73

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coin, très imposant, constitué par sa grande taverne-restaurant-épicerie. Le corps d’appartements faisant face au boulevard était loué à des gens aisés.

Le troisième côté de ce carré formait ses immenses greniers ; et le quatrième, c’était l’abominable fouillis de masures infectes, à moitié enfoncées dans le sol, où grouillait, jour et nuit, une véritable vermine humaine : débardeurs turcs et arméniens, des charbonnages du port, toujours sales, noirs, comme leur bât, célibataires couchant par cinq et six dans une seule pièce ; scieurs de bois, roumains ou bulgares, pères de familles nombreuses ; marchands ambulants de pétrole, manœuvres et autres.

Le grand portail de la cour ne fermait jamais ; « chez Sima Caramfil », c’était en effet un han, ou ancienne auberge populaire. Un homme de confiance veillait la nuit, recevait tout passant, avec ou sans voiture, qui demandait abri et réconfort, et demeurait toujours prêt à servir gens et bêtes.

La cour, très vaste, était constamment couverte d’une couche épaisse de paille mêlée de grains, crotte et boue formée par les urines des bœufs et des chevaux. De nombreux porcs et des volailles, appartenant à Sima, se nourrissaient et grandissaient rien qu’en fouillant dans ces riches déchets.

Il n’y avait de cabinet d’aisance dans aucun appartement. Tous les locataires, sans exception, devaient traverser cette cour à purin, s’y enfoncer jusqu’à la cheville, pour aboutir aux trois latrines publiques, blanchies à la chaux, qui répandaient une odeur nauséabonde, entre les masures et les greniers.

Souvent, des gens aisés, ses locataires, disaient à Sima :

— Monsieur Caramfil ! pourquoi ces nids de punaises et d’infection près de vos beaux immeubles ? Vous êtes assez riche pour pouvoir les faire disparaître