Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/81

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— Il a tout bu, monsieur Sima…

Et Sima savait chez qui l’homme avait « bu » son argent.

Ces séances duraient toujours une bonne demi-heure. Pour pouvoir vaincre son égoïsme, il lui fallait bien remplir ses yeux de l’image de chacun de ces malheureux. À la fin, levant lourdement la main, il faisait signe au tejghetar de commencer la distribution des vivres.

Un frémissement angoissant saisissait alors la pitoyable assistance. Une pensée tenaillait tous les cœurs : « Aurai-je, moi aussi, ma part ? »

La bousculade était défendue et sévèrement réprimée. Sima voulait goûter la solennité de son action, car, pour lui, aumône ou crédit douteux, tout allait aux fonds perdus.

Toujours assis sur sa chaise, presque immobile, il décidait du tour de chacun, indiquant du doigt, sans s’occuper de la place qu’il occupait, celui qui devait aller recevoir son bois, sa farine de maïs. Plus d’une fois, on le voyait appeler à lui un enfant englouti dans la foule. Il lui prenait la main :

— Est-ce que ta mère est au moins bien portante ?

— Pas tous les jours, monsieur Sima.

Il s’agissait presque toujours d’une veuve, travailleuse et mère de plusieurs enfants :

— Donne, ici, trois kilos de pain et une livre de lard.

Ou bien :

Double, ici, la portion de bois et celle de farine.

Devant un enfant, dont il savait le père honnête, assidu et fumeur enragé, il disait :

— Ajoute, ici, deux paquets de tabac.

Au retentissement des mots exceptionnels : « pain », « lard », « fromage », « tabac », « olives », de nombreux yeux s’allumaient d’une envie qui faisait plus encore pitié.