Le vin est mauvais, le litre est petit,
(Vinu-i, ocaua-i mica,)
La tavernière est bien jolie :
(Crâsmarita-i frumusica :)
Les gars boivent à s’éreinter.
(Beau flacaii de se strica.)
Ç’avait été ainsi autrefois : simple et fort. C’était bien différent chez Sima. La jovialité des deux femmes n’avait aucun but. Elle naissait de leur profond besoin d’échapper à une solitude qui les écrasait. Les « gars » pouvaient boire ou ne pas boire, Sima pouvait trouver son compte ou ne pas le trouver du tout, cela leur était parfaitement égal. Entre elles et la taverne il n’y avait point de rapport. Celle-ci n’était qu’un moyen qui leur permettait de se fuir elles-mêmes.
Dans son besoin naturel d’aider les plus faibles qu’elle-même et se sentant maintenant en mesure de le faire sur une grande échelle, Minnka avait employé tout l’hiver à caresser ce rêve mystique, tâchant d’oublier Minnkou et d’adapter aux yeux de son mari les lunettes de sa généreuse vision de l’existence. Elle voyait Sima à la place de Mândresco, maître de l’Embouchure et idole des paysans, qu’il rétablirait dans tous leurs droits. Des magasins de Braïla, il ferait le salut de toute une population miséreuse, en se l’associant. Il n’y avait là rien d’impossible :
— Ne te contenterais-tu que de la centième partie des bénéfices d’aujourd’hui, encore aurais-tu de quoi te considérer riche, sans même t’esquinter, comme tu le fais huit mois sur douze et pour n’arriver qu’à amasser une fortune qui ne te sert vraiment à rien. Alors que, si tu m’écoutes, tout un monde un jour te bénira !
Sima était aussi loin d’une telle pensée que le ciel l’est de la terre, mais, rusé, il garda un silence songeur