Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mes amis viennent souvent interrompre ma solitude, me lire leurs ouvrages et entendre les miens ; je les associe à mes amusements. Le vin égaye nos frugals repas, la philosophie les assaisonne, et, tandis que la cour appelle la volupté, caresse la calomnie, forge des fers et tend des pièges, nous invoquons la sagesse et lui offrons nos cœurs. Mes yeux sont toujours tournés vers elle ; mais, hélas ! ses rayons ne m’éclairent qu’à travers mille nuages ; qu’ils se dissipent, fût-ce par un orage, cette solitude sera pour moi le temple du plaisir, que dis-je ?… père, époux, citoyen, homme de lettres, je me dois à mille devoirs, ma vie n’est pas à moi. Adieu, mon cher jardin, adieu ; l’amour du sang et de la patrie m’appelle à la ville, garde tous tes plaisirs pour dissiper bientôt mes nouveaux chagrins et sauver ma vertu de leurs atteintes[1]. »

Le jardin du palais communal de Kien-tcheou n’offrait pas toutes les magnificences décrites par le pinceau de Sse-ma-kouang ; il était cependant un des plus beaux que nous ayons rencontrés dans le Céleste Empire. Nous y passâmes le reste de la matinée, ne pouvant nous lasser d’admirer la patience des Chinois à exécuter, avec des arbustes et des fragments de rochers, toutes les excentricités de leur bizarre et féconde imagination.

Nous étions assis sous le portique d’une pagode en miniature lorsque maître Ting vint nous annoncer que l’heure du dîner était arrivée. Les principaux fonctionnaires, en riche et brillant costume, étaient déjà réunis

  1. Mémoires concernant les Chinois, t. II, p. 646.