Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/441

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si tous les jours nous en avions trouvé autant sous notre tente ! Du riz bien blanc, bien gonflé et en abondance, et puis une assiettée de petites herbes salées et une autre de confitures de piment rouge… Oh ! un semblable festin eût été alors un vrai miracle de la Providence. Comme la large figure de Samdadchiemba se serait épanouie devant une telle abondance de vivres ! Quelles belles histoires il nous aurait racontées !…

Le souvenir de ces incroyables repas préparés jadis par notre cher chamelier fut comme un excellent assaisonnement qui nous mit en appétit. En somme, nous dînâmes, moins bien, il est vrai, que bien d’autres en ce monde ; mais, à coup sûr, incomparablement mieux qu’une foule de malheureux qui, ce jour-là, ne dînèrent pas du tout. Le bien-être, ici-bas, n’est, le plus souvent, que le résultat d’une comparaison. Que de gens vivent continuellement dans la souffrance et la détresse, parce que, dans la position où ils se trouvent, ils s’obstinent à regarder toujours au-dessus d’eux !

Nous ne tardâmes pas à oublier et nos provisions et notre dîner, et tous nos souvenirs de la Tartarie et du Thibet ; des préoccupations d’un autre genre vinrent nous assaillir. Pendant toute la matinée, la brise avait toujours été en augmentant de force ; vers midi elle était d’une telle violence, qu’on dut serrer presque entièrement les voiles, et garder tout juste ce qui était nécessaire pour gouverner la jonque. Le lit du fleuve était comme un bras de mer agité par la tempête. Les vagues mugissaient et se précipitaient avec fureur les unes contre les autres ; elles étaient plus courtes, moins élevées qu’en pleine mer, mais plus impétueuses. Notre pauvre