Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/456

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il n’en fut rien pourtant, nous passâmes inaperçus, sans que personne fit mine de s’occuper de nous.

C’est qu’en ce moment Kin-tcheou était sous l’impression d’un événement tellement grave, que les esprits se trouvaient peu portés à la curiosité. La ville était, pour ainsi dire, en état de siége, par suite d’une sanglante bataille qui avait éclaté depuis deux jours entre les Chinois et les Tartares mantchous ; quand nous y entrâmes, tout était calme et sombre. Nous suivîmes de longues rues silencieuses et presque désertes ; les boutiques étaient partout fermées ou simplement entr’ouvertes ; les rares personnes qu’on rencontrait couraient à pas précipités, formaient quelquefois dans les carrefours de petits groupes où l’on parlait à voix basse et avec beaucoup d’animation ; on voyait que les esprits étaient en fermentation, on sentait de toute part comme un souffle de guerre civile.

On nous raconta que le conflit entre les Chinois et les Tartares avait pris naissance à la suite des jeux nautiques. Il est d’usage, en Chine, à certaines époques de l’année, de faire des courses de jonques ; c’est, pour les villes qui avoisinent les rivières navigables ou les ports de mer, une occasion de fête et de réjouissance ; les magistrats, et quelquefois les riches marchands de la localité, distribuent des récompenses aux vainqueurs ; ceux qui veulent entrer en lice s’organisent par compagnies ayant chacune son chef. Les jonques qui servent à ces jeux sont très-longues, et si étroites, qu’il y a tout juste la place pour deux rangs de rameurs ; elles sont ordinairement richement sculptées, ornées de dorures et de dessins aux plus vives couleurs ; la proue et la poupe re-